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Trop longtemps

... que je ne suis pas venue ici, Mot Maquis me manquait un peu, alors voici quelques nouvelles et liens, et aussi deux extraits d’un texte en cours...

Pour commencer, vous avez encore deux jours pour découvrir l’exposition "Paysages alentour" (Centre Pompidou) qui fait une belle place au Journal du brise-lames, écosystème poétique créé avec Stéphane Gantelet. Pour plus d’infos sur le Festival Extra ! et le week-end de lectures qui s’annonce passionnant, cliquez ici

Le Monologue de Bassoléa, version lecture musicale réalisée avec Basile et Solal Gantelet (eh oui en ce moment on crée en famille, c’est comme ça, et c’est bien joyeux !) est désormais en ligne dans son intégralité sur Diacritik. Vous trouverez donc les 10 épisodes rassemblés :

Je lirai des extraits de ce Monologue mais aussi du Journal du brise-lames lors de ma semaine à la Maison des Littératures à voix hautes (Nîmes), voici le programme :

Mardi 6 octobre : 18 h, médiathèque Simone Veil, 4 rue de la Travette , MARGUERITTES.
Mercredi 7 octobre, 18 h 30, magasin LA CITÉ, 1-3 place du Grand Temple, NÎMES.
Jeudi 8 octobre, 18 h 30, médiathèque Carré d’Art, place de la Maison carrée, NÎMES.
Vendredi 9 octobre, 19 h, CACN (Centre d’Art Contemporain de Nîmes) 13 rue Jean Reboul, NÎMES.
Samedi 10 octobre, 17 h, médiathèque Carré d’Art, place de la Maison carrée, NÎMES.

Pour réserver, téléphonez au 04 66 62 06 66. Nombre de place limitées en raison des obligations sanitaires.

Signaler aussi que je commence une résidence en Bretagne Romantique, invitée par la chouette Maison de la Poésie de Rennes (et bientôt à Sète avec la formidable équipe de la Médiathèque de l’île de Thau, à suivre donc).

Et pour finir les extraits promis au début, bonne lecture et à bientôt je l’espère.

Prologue

Elle arrivera.

Oui
Bassoléa arrivera
ici
ici précisément
en lisière de forêt, en lisière de tout

peut-être arrive-t-elle déjà, sait-on jamais ?

Il fera doux ce soir-là, un soir à traîner dehors un peu plus tard, à faire vaquer son regard sur les échines des montagnes qui bleuissent. C’est ce moment qu’elle choisira pour garer son camion en contrebas, près de la fontaine, et aussitôt pointer son visage futé vers la clède de l’autre côté du ruisseau. Ses cuisses jeunes l’y propulseront en quelques bonds, elle restera là un moment à humer l’air, à l’affût, et vive sera sa fuite au battement soudain d’un vieux volet quelque part dans le hameau vide. Oui, elle fera tout à fait l’effet d’un chevreuil, avec son crâne recouvert d’un duvet roux, ses yeux sombres et doux, son port et toute son allure surtout la feront tendre vers le chevreuil, avec une détermination rare, une de ces obstinations qui ne peuvent être qu’involontaires, profondes.
Et les chèvres ce soir-là comme toujours ne seront pas gardées, elles tourneront autour du camion où Bassoléa aura disparu. Parce qu’il y aura encore suffisamment d’arbres nus pour laisser entrevoir les allées et venues des chèvres et des humaines en contrebas. Nous nous dirons alors : quelques jours encore et il nous faudra tout deviner.
Entre chien et loup elle réapparaîtra, des vis dans la bouche une viseuse dans la main. Ses gestes seront calmes. On saura plus tard qu’elle ne l’est guère, calme, que ça bouillonne à petits bouillons continus dans le réseau de ses artères, veines et capillaires, mais il est trop tôt encore, prenons le temps.

Quand elle arrivera, les fleurs de frênes auront déjà perdu de leur superbe, les algues aériennes phosphorescentes qui éclairaient l’extrémité de chaque branche se seront recroquevillées en amas sombres, indéfinis, les pruniers auront répandu leurs pétales sur les bancèls alentour, des branches d’un arbre gris auront surgi de petits cerveaux aux circonvolutions rougeâtres, certains s’ouvriront déjà pour laisser filtrer des feuilles fraichement aiguisées. Le sureau s’épanouira et le murier blanc attendra son heure. Il sera temps de se laver les viscères et le sang avec les herbes sauvages qui proliféreront sous nos pas ; nous nous pencherons vers elles et découvrirons deux coccinelles en plein ébat, les pattes du mâle prises d’une frénésie qu’on ne s’expliquera pas, si ce n’est peut-être pour se maintenir en équilibre le temps nécessaire sur le dos lisse de la femelle ; alors, nous nous allongerons sur cette banquette de terre où le sexe sera partout ; les fleurs sur des tiges arquées ouvriront en grand leurs corolles, tout sera bon pour attirer les insectes alentour, elles se feront luminescentes, elles se feront formes et motifs, halo bleu, elles monteront même en température, et surtout, surtout elles montreront leurs sexes, qui sentiront fort sous le soleil cru, et l’abeille excitée par l’odeur de l’eau sucrée sécrétée tout spécialement pour elle viendra, elle viendra, elle viendra plonger sa langue dans les profondeurs des organes floraux et frottera ce faisant, tout à fait innocemment, son derrière contre le sexe mâle de la fleur qui aura pris depuis très longtemps la forme d’étamines qui se presseront encore un peu plus contre le corps velu, que le pollen s’y accroche, ce sera l’enjeu, et l’abeille chargée de pollen lui même chargé de spermatozoïdes sans queue repartira pour décharger sur une autre fleur, tout aussi chaude, tout aussi excitante, l’abeille déchargera sur le sexe femelle, pistil dressé, légèrement poisseux, parce qu’il s’agira ici de retenir la précieuse semence qui ira peut-être rejoindre l’ovule mais c’est une autre histoire ; nous en resterons pour l’heure à rêver ce jeu à trois qui aura commencé au crétacé, l’abeille comme extension du sexe mâle circulant de sexe femelle en sexe femelle, manège multiplié, et pendant ce temps pousseront autour de nous et à vue d’œil, sur des tiges glabres, des clochettes d’un vin sombre, ultraviolet, aux collerettes quasi-fermées par de minuscules dents très blanches, nous nous poserons alors des questions sur la pertinence d’être aussi peu ouvertes
et quand, enfin
nous nous relèverons
les ronces auront poussé tout autour avec une vigueur qui nous stupéfiera.

Le lendemain, les branches déjà en feuilles plieront jusqu’à casser sous le poids de la neige ; des nuages immobilisés feront le dos rond au fond de la vallée et sous un soleil sans égal la neige distribuera à foison ses étoiles dans nos yeux agrandis, qui cligneront. On n’aura jamais vu ça, on dira et on répètera qu’on dit de plus en plus souvent qu’« on n’a jamais vu ça ». A midi la neige disparaîtra comme elle sera venue. Et l’été commencera.





vendredi 25 septembre 2020, par Juliette Mézenc

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