En novembre, les Sétois se divisent en deux classes bien distinctes : il y a les couillons, que le vol des étourneaux mène par le bout du nez – avez-vous déjà suivi des yeux cette écriture serrée serrée comme un poing au-dessus de la ville, et qui soudain s’étire, frissonne, miroite, on croirait des poissons échappés
et il y a les monstres qui frémissent et lèvent les yeux au ciel avant de cracher sur le trottoir les mots « chiures », « puanteur » ou encore, attestant alors une pensée plus élaborée, plus distanciée, le mot « nuisances ».
C’est l’heure à laquelle les enfants sortent de l’école tandis que le soleil se couche, offrant alors aux oiseaux, c’est pas trop tôt, un décor à leur hauteur : horizon mauve sur le bleu dur de la mer, barre de nuages cotonneux posée sur les contreforts des Cévennes, ciel blanchi, guirlandes qui s’allument sur les grues du port. Un homme invisible — missionné par la mairie, sans doute — fera exploser des pétards et c’est le ciel en entier qui s’animera alors par-dessus les têtes levées. De gigantesques nuages se formeront en un clin d’œil, palpiteront sans effort visible, certains y verront des ballets de baleines à bosse, d’autres rien de spécial, mais peut-être verront-ils, eux.
Les premiers, donc, contemplent bouche bée, et c’est risqué, mais ils n’y pensent pas, vous pensez bien.
Les seconds, et bien, ils pensent, ils pensent même beaucoup. À leur voiture garée sous un platane et qui risque de se retrouver criblée de crottes corrosives ; à la somme qu’il faudra débourser pour faire repeindre la carrosserie ; à leurs semelles qu’il faudra nettoyer avant de s’accorder un repos bien mérité ; à leur conjoint dont il faudra subir les invectives à l’annonce des dégâts ; et enfin et surtout, à la semaine, qui avait été bien assez chiante comme ça sans en remettre une couche !
Il va sans dire que les deux catégories peuvent éventuellement coexister chez la même personne, une attitude cédant le pas sur l’autre en fonction du jour et de l’humeur.
Parmi eux, il y a Mathilde, Jacques et Guillaume.
Mathilde consent parfois, mais c’est rare, à arrêter net son vélo pour observer les oiseaux.
Jacques a bien autre chose à faire que de regarder le ciel.
Guillaume n’est tout simplement pas en position de les voir.
mercredi 29 décembre 2010, par
Messages
29 décembre 2010, 14:35, par cjeanney
me sens "couillon" :-)
Ciel magnifique, et le ballet des baleines !
31 décembre 2010, 06:53
christine, tu me donnes le prétexte nécessaire pour mettre le lien vers ce texte de nathalie quintane auquel j’ai pensé très fort au moment de remanier l’incipit : http://www.sitaudis.fr/Excitations/monstres-et-couillons-la-partition-du-champ-poetique-contemporain.php
17 mars 2011, 09:46, par Ponsky
Qui pourrait se sentir couillon de regarder le ciel ? Ou d’écouter chanter des oiseaux ?! Sétois ou pas... Monstre ou couillon ? Là est il la question ?
17 mars 2011, 15:56, par Juliette Mézenc
à titre personnel, je passe des heures à regarder le ciel et les étourneaux à l’automne
le narrateur de Poreuse a dû (j’imagine !) trouver ces deux mots bien commodes pour opérer une ligne de fracture entre les deux "populations", mais je te l’accorde, jean-marie, ce narrateur a un goût prononcé pour la provocation (ce qui n’est pas mon cas)
va faire un tour sur sitaudis (lien dans un commentaire précédent), tu verras que nathalie quintane pourrait bien être l’instigatrice de cette malice :)